La “Petite France” de Tripoli (Philippe Kandalaft)
Le Centre Culturel Français de Tripoli fête ses cinquante ans. Un demi siècle ! Un demi siècle d’existence, de parcours et d’action ! Un demi siècle de présence Française et de fidélité à une mission qui porte son nom puisque, très souvent, nous avions pris l’habitude d’associer le Centre dans un heureux amalgame à La Mission Culturelle Française.
Cinquante ans de témoignages discrets, un chassé-croisé de personnes, simples passants, étudiants, professeurs, amis, habitués de la société civile ou religieuse, curieux, traversant chaque jour, presque mécaniquement, dans un geste réflexe, sans en prendre réellement conscience, les frontières symboliques de deux territoires limitrophes, le Liban et la France, unis sur un même sol. Cinquante ans que le Centre ouvre chaque matin ses portes et ses fenêtres avant de les refermer le soir sur l’Histoire d’une ville qu’il a accompagnée dans ses moments de paix ou de guerre, de bonheur ou de malheurs, de détresse, de joie, d’expansion économique ou de déclin. Cinquante ans d’échanges, d’osmose presque familiale si j’en juge aux liens très étroits qui se sont noués au fil du temps entre les responsables du Centre et les familles tripolitaines. Un long et remarquable parcours, pas toujours facile, souvent semé d’embûches, au service d’une mission : promouvoir la culture et la langue françaises et favoriser à terme l’éclosion d’une francophonie de proximité (bien que le terme de francophonie soit plus récent).
Le Centre Culturel Français de Tripoli, pour ceux qui ne le savent pas, c’est d’abord ce bâtiment, là-bas, un peu à l’écart de ce que fut alors le centre ville, ce bâtiment de couleur jaune, à l’abri derrière un muret monté de fer forgé, au rez-de-chaussée duquel il avait élu résidence, rue Walid Ben Talal aujourd’hui. Le peu de bâtisses environnantes et les vastes jardins d’orangers qui le bordaient avaient fini par lui donner une allure de « maison » enfouie dans un écrin de verdure qui dégageait un je ne sais quoi de spécial d’un hôtel particulier qui se distinguait, par sa seule présence ici, en ce lieu, des autres bâtiments avoisinants.
Synonyme de « petite France », le Centre Culturel Français était également l’antenne consulaire compétente. Nous nous y rendions avec une certaine déférence en raison de l’autorité qu’il représentait peut-être ou parce que le silence y était de mise entre les rayons couverts d’ouvrages répertoriés par lettres alphabétiques. On y pénétrait comme on pouvait pénétrer dans un sanctuaire, un espace réservé en tous les cas, un espace de prédilection où beaucoup recherchaient calme, lecture, musique, échanges culturels, culture cinématographique, informations utiles, évasion, dans un cadre à la limite du douillet, paisible, à l’écart de la ville bruyante et tapageuse. Mme Catherine Nemnom gérait avec compétence ce va et vient alors que Mr Joseph Jacob veillait au respect des règles de bienséance. Ils sont tous deux indissociables de la vie du Centre d’alors et leur accueil aimable et respectueux mérite d’être souligné ici, à cette occasion.
Nous y cherchions les best-sellers de l’époque, les magazines de langue française, les revues littéraires, les ciné club d’expression française, des conférences débats ou des expositions ; nous y célébrions des soirées de la St Sylvestre alors que concerts et pièces dramatiques ou comiques trouvaient un cadre propice dans le grand théâtre du Collège des Frères rue des Eglises et faisaient salle comble à chaque fois.
La génération des années soixante ne peut évoquer le Centre Culturel de Tripoli sans lui associer les épreuves du BEPC. Ou plus précisément celles du test d’aptitude ou test de langue Française qui portait sur les techniques d’expression, le bon usage des pronoms relatifs ou des pronoms personnels, la concordance des temps et l’emploi du subjonctif, le passage du style direct au style in direct et inversement. Une épreuve majeure puisqu’elle ouvrait le droit aux examens du BEPC et donnait libre cours à une compétition serrée entre les écoles. C’était bien au Centre que les résultats de ces épreuves étaient affichés dans l’impatience et l’angoisse, le BEPC représentant alors la ligne blanche à franchir pour accéder aux classes du cycle secondaire.
Ah ! Je me souviens bien d’un certain Mr Héritier, une grande stature dans un complet croisé impeccable, les cheveux blancs bleutés toujours bien peignés, qui précédant les premières heures du Centre ou avec elles, passait dans les classes du Collège pour nous apprendre la diction. La méthode globale n’était pas encore née. L’acquisition classique de l’alphabet était alors une des étapes indispensables de l’apprentissage de la langue française. Et puis il y avait eu le baccalauréat français que nos frères et soeurs aînés ont dû expérimenter. Et puis, et puis les étudiants et étudiantes (plus rares) qui partaient pour la France avec en ligne de mire des diplômes à ramener haut la main et des destinations prisées comme Paris, Montpellier, Marseille, Toulouse et Bordeaux.
1975, la guerre, l’éclatement, la dispersion, la fracture…les horizons sombres. Le Centre Culturel Français de Tripoli connaîtra ses heures et ses mauvais jours sans se décharger de sa mission première : présence française, proximité, apprentissage de la langue française, respect des valeurs et cultures locales. Changeant de cadre géographique, il n’a pas modifié sa feuille de route ni la nature de sa mission. Un siècle de mission, c’est pour bientôt, dans cinquante ans ! Donnons nous donc rendez-vous dans cinquante ans quelque part, ici ou ailleurs, dans la Tripoli de l’année 2059 afin de célébrer le centenaire d’une mission toujours vivante et en quête de défis nouveaux. Bonne voile et bons vents aux directeurs du Centre d’aujourd’hui et de demain.
Philippe Kandalaft
Poète , Ecrivain
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