Centre Culturel Français de Tripoli - Liban

Centre Culturel Français de Tripoli - Liban

Le C.C.F de Tripoli : le passé et le présent (Mahmoud Ziadeh)

Parler du centre culturel français, c'est évoquer des moments agréables d'enfance et selon l'image du poète: "Comme un vol d'oiseaux en émoi tous mes souvenirs se jettent sur moi". Je revis un certain passé et j'essaie de le présenter sous forme de "pacte autobiographique" selon la belle expression de Philippe Lejeune. Je n'ai pas souvenir du premier jour de mon arrivée au Centre au tout début des années soixante, mais je me souviens d'un enseignant de français: M. Klink. Son cours était notre île de quiétude dans l'amère souffrance scolaire sous la férule d'enseignants austères et revêches. Sans être un magicien qui aurait sorti à chaque fois le lapin du chapeau, il réussissait toujours à capter notre attention. Quel bonheur serait-ce de redevenir enfant pour revivre cette émotion d'apprendre. Ce professeur nous conseillait de nous abonner au C.C.F afin d'acquérir les connaissances de la langue française tout en nous adonnant aux joies de la lecture. Cette aspiration à "un idéal" si prometteur me poussait à frapper à la bonne porte. Le court trajet que je parcourais pour aller au Centre était le saut entre deux mondes : l'enfant de dix ans que j'étais s'émerveillait de cette "oasis" étrange et saisissante. Mais comme toute médaille a son revers, je me sentais très dépaysé et entouré de gens inconnus. Mes camarades de classe –malgré leur attachement à M. Klink - faisaient la sourde oreille. Or je me trouvais avec des élèves nouveaux disciplinés tout à fait différents de la marmaille grouillante de mon école. Mais très vite, j'ai retrouvé la chaleur du foyer grâce à la convivialité assurée par le personnel du centre Mme Catherine Denis, M. Joseph Yacoub et bien sûr le directeur M. Henri Roux. Ainsi mes jours furent éclairés par les lumières de cette culture resplendissante du "Centre français" . L'évasion m'envoûtait et je m'envolais à tire-d'aile grâce au dépaysement créé par les livres d'aventures.

Le local était sis rue "Jemayzat" au rez-de-chaussée. La façade donnait sur l'artère principale et l'arrière cour sur un bosquet planté d'arbres et de fleurs d'agrément.

Combien de fois suis-je resté des heures dans le salon aux divans couleur lilas, absorbé par la lecture et la musique douce. Joseph consacrait certaines musiques pour la matinée et d'autres pour l'après-midi. Il était responsable également de la projection des oeuvres cinématographiques, des films en version originale française. L'objectif était double : cultiver et initier à la langue orale. C'était un vecteur pédagogique important, ne serait-ce que par la nécessaire conception d'un projet qui stimule l'élève à écouter et comprendre: l'image aidant. L'enseignant était absent mais l'enseignement assuré. C'était une modification des rapports entre l'élève et l'outil. Le tableau noir était remplacé par l'écran captivant et riche en couleurs; de quoi réchauffer les ardeurs des plus paresseux, d'autant que "le voyage" entre la maison et le centre ne coûtait rien et garantissait "un séjour linguistique" accessible à tout le monde. S'y ajoutait complément non négligeable –à travers le débat qui s'ensuivait- une forte motivation à l'apprentissage. Intéressante aussi, la capacité à l'autoévaluation immédiate de l'élève qui comprend ou non et qui sait ou non se faire entendre. Plus tard, c'était pour moi un effort d'appropriation de la modernité, une remise en cause générale et une ouverture sur autrui.

J'étais devenu un habitué du Centre et en classe de troisième, je décidai de relever le défi de réussir "Le brevet de l'ambassade de France" (comme on disait alors). Ce n'était pas chose facile car mon école publique ne préparait pas ses élèves à cet examen. Le directeur, Hassan Hadjé, sollicita néanmoins mon inscription comme candidat libre, ce qui fut fait. Les épreuves eurent lieu au Collège des Frères, un autre dépaysement pour moi. Le texte de la dictée était tirée de "L'Etranger" de Camus.

Je fus admis, sûrement grâce à ma fréquentation assidue de la bibliothèque du centre culturel français.

J'ai connu la plupart des directeurs du Centre, sauf ceux qui ont été nommés, pendant mon séjour à Paris.

Certes, le centre culturel français a connu certains déboires à cause des événements fâcheux de la guerre civile et de la précarité de la situation à Tripoli et de l'activisme des Islamistes, notamment el Tawhid. En 1985, l'ambassade de France à Beyrouth a dépêché son conseiller culturel pour s'entretenir avec le directeur du Centre de Tripoli M. Alain Morenau de la possibilité de transférer le Centre à Koura ou à Zghorta. La discussion a eu lieu au restaurant "Green House" à Barssa. J'étais présent à la réunion qui a groupé six ou sept personnes. Il était question également de nommer provisoirement un libanais vu les risques courus par un directeur français. Finalement on a nommé une Française mariée à un Tripolitain: Mme Khoder.

Il faut avouer que les directeurs du C.C.F de Tripoli ont déployé des efforts considérables – en dépit des difficultés à partir de 1975 – pour faire triompher le bilinguisme en mettant l'accent sur l'apport bénéfique du français dans les établissements scolaires. Il s'agissait d'une situation très favorable pour l'élève sur le plan des acquisitions langagières, bien sur, mais aussi sur le plan de son développement cognitif général. Ce constat rejoint celui du sens commun qui attribue aux élèves bilingues une agilité intellectuelle particulière du fait qu'ils ont appris très tôt à maîtriser des modes de pensée et des codes d'expression différents.

Le Centre culturel français a toujours essayé de contribuer aux activités culturelles et artistiques dans notre ville qui tombe dans le marasme malgré son passé culturel prestigieux. Le C.C.F a pu faire participer à ses projets les universitaires, enseignants et étudiants, paradoxalement davantage après1975 – Ceci grâce à une certaine évolution en France même où un appel à la démocratisation était lancé corrélativement à un refus d'enfermer la culture dans une fonction complémentaire de divertissement et de la confiner dans des milieux élitistes. Mais le C.C.F s'est bientôt trouvé face à des problèmes majeurs qui risquaient de limiter ses activités.

1- la déliquescence de l'Etat libanais et des instances publiques après une guerre civile intestine.

2- le retour aux formes les plus intégristes ou les plus primitives de la religion suite à l'effondrement des idéologies politiques de gauche et de droite. Comment un Libanais oserait-il dénoncer l'atrophie de l'imaginaire dans une mentalité fanatisée sans s'exposer à des menaces mortelles?

3- la conjoncture française intellectuelle est à étudier sur plusieurs niveaux. Il y a d'abord une certaine crise historique de la présence française dans le monde, qui s'exprime par la perte du français comme langue internationale, mais aussi par la disparition de la culture française en Europe même. La mondialisation a bousculé la francophonie, lui faisant perdre le cap et douter un peu plus de son rôle.

Mais il y a quelque chose de malsain à dénigrer, par la force expansionniste, la francophonie en omettant le rayonnement de la culture française sur le Liban, car les mêmes arguments utilisés pour la disqualifier pourraient aisément se retourner pour la qualifier. La puissance unilatérale qui dicte son éthique, qui exerce son autorité aveuglément jusqu'à l'injustice et qui impose sa leçon par les brimades et les humiliations, ne pourra à la fin que céder la place à la raison et à la sagesse.

De toute façon, mon attachement au Centre culturel français depuis mon enfance dépasse les palabres politiques et culturelles. Il y a en moi une nostalgie d'un temps qui était mon horizon heureux, ma fête d'autrefois. Ainsi ai-je toujours essayé de participer aux activités du C.C.F. Aujourd'hui et avec M. le directeur Robert Horn, j'espère contribuer à empêcher le temps de vieillir.

 

Mahmoud Ziadeh

Rédacteur en chef de Trait d'Union



07/12/2009
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