Centre Culturel Français de Tripoli - Liban

Centre Culturel Français de Tripoli - Liban

Pour l’amour d’une langue (Aïda SOUFI)

 

Peut-on mettre une date, une étiquette, un nom à un lieu qu'on a toujours connu et fréquenté ? Peut-on vraiment décrire un lieu pareil sans se tromper, sans se trahir ? Peut-on dévoiler ses sentiments sans se mettre à nu, sans un retour en arrière vers un passé riche en événements, en incidents, en anecdotes, un passé embelli par le temps et noyé par les souvenirs ?

 

Mon CCF à moi est un souvenir qui remonte à l'époque du premier local situé rue des Gemeyzat (Rue des Sycomores) : un petit jardin, un arbre – vraisemblablement un sycomore – et quelques marches. Puis mon frère qui gravit les marches pour récupérer son certificat d'études français. C'est ma première découverte du CCF, j'avais à peine sept ans. Puis le temps passe et le tout se noie dans l'oubli pour une dizaine d'années. Pendant ce temps, le CCF déménage et s'installe derrière chez nous mais je ne le fréquente pas encore. Nous avions une immense bibliothèque à la maison, et pour l'instant elle me suffit largement.

 

Derrière chez nous y a le CCF. Beau temps, mauvais temps, il fonctionne. Il connaît une année plutôt difficile en 1983 : le directeur est enlevé. Il sera libéré peu de temps après et immédiatement rapatrié. Une explosion la nuit, le jour de l'an : le CCF est incendié et une partie de la bibliothèque part en fumée. C'est le règne de la terreur et de l'ignorance. Mais le CCF ne ferme pas, il reste ouvert et accueille ses habitués qui pénètrent dans les lieux et passent par-dessus les débris et les décombres. La vie continue malgré tout. Le CCF aussi. Chacun a sa vocation et sa résistance.

 

Je commence à fréquenter assidûment le CCF durant mes années d'études à l'université. Il est difficile de trouver les références sur place et la commande peut s'éterniser entre aéroport fermé et barrages qui « agrémentent » la route entre Tripoli et Beyrouth. Je me replie donc sur le CCF qui devient ma source d'approvisionnement intellectuel. Je lis comme un condamné à mort qui goutte les derniers plaisirs de la vie. Je viens de découvrir la littérature française, ma planche de salut. Le pays agonise, Tripoli est une ville presque morte, le CCF reste son unique poumon qui fonction contre vent et marée. Je m'agrippe de toutes mes forces à ce lieu de culture et d'ouverture. C'est la petite paille qui sauve la fourmi de la noyade.

 

Le CCF déménage encore une fois et s'installe au City Complex, à deux pas de chez moi. Je fréquente les lieux de plus en plus. Manifestations culturelles, activités artistiques, formations… se succèdent à un rythme effréné. Le CCF est un chantier qui ne se termine pas. On abat des murs, on agrandi, on transforme, on embellit… pendant ce temps, le CCF ne ferme pas. Les activités continuent. L'évolution aussi. Le CCF a beaucoup changé pendant ce temps. Moi aussi. De stagiaire, je deviens conseillère et animatrice. J'organise des formations très diversifiées à un public de plus en plus exigeant et demandeur. Le coin jeunesse est mon coin préféré avec son podium bleu et ses expositions que je monte de toutes pièces avec l'aide de Nehmat et ses enfants : affiches, illustrations, objets, livres… tout peut être exposé. C'est dans les animations pour enfants que je me retrouve le mieux. Elles constituent le souffle qui me permet de vivre. Combien de contes ai-je raconté ? Combien d'ateliers ai-je animé ? Combien d'enfants sont passés par là et ont assisté à mes animations? Cela n'a aucune importance. Les chiffres ne signifient absolument rien. Je me laisse guider par mon cœur et je m'envole avec les enfants au pays du rêve et de l'imaginaire.

 

Le CCF fête ses cinquante ans. Cinquante ans de culture, de rêve et d'amour. Amour des mots… amour d'une langue.

 

Aïda SOUFI

 

  



26/11/2009
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